Posté le 1 septembre 2022 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

Débarquant d’un avion privé qui l’avait amené jusqu’à Ambérieu, pris en charge en voiture jusqu’à Bourg, c’est au Parc des expositions, là où il devait se produire le soir même, et où nous l’attendions avec Dominique Tête, photographe au Progrès, qu’il nous est apparu le 10 avril 1982, costard, chemise blanche, cravate, manteau négligemment posé sur un bras, sourire aux lèvres, et somme toute heureux d’être là. En entrant dans ce hall C, Yves Montand avait testé les lieux, les vastes tribunes pour 3 000 spectateurs attendus, la scène où étaient installés un micro, des projecteurs, beaucoup de matériel, pour les répétitions dans une heure, le temps qu’à leur tour, les musiciens arrivent…

« Évitez Marilyn… »

Avec nous, le salut fut amical et le ton franc et direct d’entrée. Avec, en préambule, quelques mots d’excuse de sa part : « Pardonnez mon retard, vous devez m’attendre depuis longtemps… » Mais non bien sûr, il peut même prendre son temps, un peu de repos avant l’interview… Il rejette la proposition, pour lui pas question. Il se dit tout à fait disponible, prêt à répondre à nos questions, en y mettant un petit bémol amusé. « Évitez de me parler de Marilyn s’il vous plaît. J’ai suffisamment donné sur le sujet, et ce n’est plus d’actualité depuis longtemps. » On lui répond par le même sourire, et la question que j’avais en réserve sur la belle blonde, et l’aventure amoureuse supposée de Montand avec elle, en Amérique, restera dans un coin de ma tête, mais n’en sortira pas…

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Les anciens à la retraite !

L’actualité, en revanche – et c’est par là que nous commençons – ce sont quelques chanteurs, certains plus connus que d’autres, qui dans la presse de l’avant-veille, se sont répandus sur la place congrue réservée aux jeunes de la chanson française, sur les radios, les télés et autres médias, par rapport à celle accordée généralement aux interprètes qui roulent leur bosse depuis longtemps (Bécaud, Aznavour, Montand entre autres), qui chantent leurs vieux tubes et qui occupent bien trop de place à leur goût, dans le music-hall et le showbiz… Oui, Montand a lu la presse, écouté les radios, a entendu tout ça. Et cela le met en rogne, cela se sent et se voit à sa mine soudain renfrognée. Et même s’il s’attendait sans doute à être interrogé là-dessus, il accuse un peu le coup, mais, grand seigneur, tient à dire ce qu’il pense de cette polémique qui prend corps… Un temps de respiration, et c’est un Montand à réaction, comme celui qu’on a pu voir parfois sur le petit écran, dans les débats politiques, qui monte brusquement au créneau…

« Cette fronde est ridicule »…

« Tu vois (son tutoiement soudain nous cueille à froid), je trouve tout ça stupide, et même bête et méchant. Comme si tous ces mecs n’avaient rien d’autre à dire ou à faire. Qu’est-ce qu’ils nous reprochent, à nous, les plus anciens dans la profession ? D’avoir déjà toute une carrière derrière nous et de ne pas arrêter ? D’être davantage présents sur les antennes, de faire des salles toujours bien remplies ? Est-ce de notre faute, à nous, si le succès est toujours là, avec un public de tous âges qui nous suit !? … Je vais te dire, la plupart d’entre eux, je les aime bien, je les trouve bons, et cette fronde est ridicule… » Le tout déclamé avec vigueur, grands gestes à l’appui, que Dominique Tête et son appareil photo ont pu saisir, cliché après cliché, face à ce Montand-là, cet immense professionnel, dans tous ses états. Après, un peu apaisé, il parla concerts à venir, nouvelles chansons, projets cinématographiques. Et nous le suivîmes jusqu’au bar du hall d’entrée, pour qu’il se rafraîchisse le gosier. Le soir, face à un public enthousiaste, il passa en revue tout son répertoire durant plus de deux heures de pure merveille, faisant exploser le compteur des superlatifs de la presse. Aujourd’hui, tant et tant d’années après, les feuilles mortes, comme les regrets, se ramassent toujours à la pelle, mais hélas, il n’y a plus Montand pour en tenir le manche…