Posté le 2 mars 2023 par La Rédaction

Julie Ducloux est de retour en Bresse après 12 ans à l’étranger, dont 10 ans en Colombie. Elle a été autorisée à découvrir la vie des indiens Arhuacos de
la Sierra Nevada, communauté descendante des indiens Chibchas, et encore préservée. Là-bas, elle a pu réaliser des photos et des ateliers d’écriture avec les jeunes de l’école où se forment les élites intellectuelles de la communauté, garants du lien avec l’administration et la capitale Bogota.
Elle raconte…

Je suis partie avec ma fille alors âgée de 5 ans, et une amie colombienne. Nous nous sommes rendues dans le village de Nabusimake, perché à plus de 2000m d’altitude dans la cordillère des Andes colombienne. La communauté compte environ 34000 membres et fait partie des plus influentes du pays. Après 7h de transport chaotique dans un 4×4 énorme, passant au-dessus de crevasses à flanc de ravin, nous nous sommes retrouvées face à deux Arhuacos en habits traditionnels, gardiens de l’entrée du territoire. Le 4×4, autorisé à continuer encore deux kilomètres dans les terres, nous laisse au milieu de la vallée : même si quelques
mules et chevaux y sont présents, c’est à pied qu’il faut se déplacer. Les méandres des chemins mènent à Pueblito, le lieu interdit aux Bunachis (ceux qui ne sont pas Arhuacos). Nous essayons néanmoins d’apercevoir ce qui s’y passe ; c’est là où se rencontrent les chefs de la communauté venus de tout le territoire et où se discutent les grandes décisions de la nation.

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Ils savent quand arriver (on ne sait pas trop comment d’ailleurs) et ne repartent que lorsqu’ils sont tous d’accord. Cela prend parfois quelques semaines. Un peu plus haut, à flanc de montagne, l’école de Besunkegun « l’endroit où naît la clarté », notre destination finale. Le bâtiment austère, ancien monastère du début du XXe siècle, contraste avec les maisons en terre et toits de chaume. Nous y rencontrons les élèves qui viennent de tout le territoire indigène, envoyés par leur famille, pour avoir leur Bac et apprendre l’espagnol. Nous nous rapprochons naturellement d’un groupe de jeunes filles avec qui nous sympathisons. Elles nous racontent leur
quotidien, leurs rites et leurs coutumes, leur vie de filles de la Sierra. La tradition veut qu’elles tissent ; en effet, le tissage leur permet une sorte de méditation pendant leurs longs trajets dans la montagne.

Leurs villages sont parfois à plus de 14h de marche de l’école. C’est donc en marchant que prennent vie les mochilas (sacs tissés) des indiennes de la Sierra, ces sacs de laine de mouton, imprégnées de formes géométriques représentant les pensées des femmes. Leur vie à l’internat est rythmée par des rituels : corvée d’eau, lessive, bois pour le feu, animaux, récoltes, champ… La journée commence lorsque le petit feu s’éteint et que le froid commence à envahir les corps encore endormis. Il est 4 h du matin. Là-bas, on est connecté à un autre monde, aux éléments, à une autre temporalité.

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Nous avons le privilège d’écouter les mamos (chamanes et gardiens spirituels des traditions, chefs de communauté) raconter les légendes de la montagne et nous expliquer leur cosmovision, en langue iku (langue descendante des Chibchas parlée et écrite par les Arhuacos). À cheval entre deux cultures, deux pensées, elles grandissent et affinent leur vision du monde. Intriguées par mon appareil photo, elles demandent à poser, à se voir. Je leur laisse même des appareils jetables pour qu’elles nous montrent leur propre vision de leur monde, leurs lieux secrets où nous ne pouvons pas aller. C’est leur lien à la nature qui ressortira des productions réalisées lors d’ateliers, ainsi que leur appréhension du monde hors de la communauté. J’ai eu le privilège de découvrir un autre monde, de me laisser guider par ces filles à la grande sagesse, de partager, de prendre
le temps : des moments inoubliables, bercés par les rivières qui susurrent à nos oreilles les légendes de la montagne, des morceaux de vie vécus pleinement à Nebusimake, là où naît le Soleil.

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