La Revermontoise Morgane Monneret, photoreporter, nous embarque dans l’île habitée la plus isolée de la planète.
Quelque part vers le sud-est de l’Océan Pacifique, battue par la houle, surgit une île perchée sur des falaises de lave. C’est « Te Pito o te Henua », « le Nombril du Monde », l’île habitée la plus isolée de la planète, qu’un Européen visita pour la première fois le dimanche de Pâques de l’année 1722, et rebaptisa orgueilleusement « île de Pâques ».
Poser le pied sur cette île n’est pas une mince affaire
Il faut d’abord réussir à dompter les vagues qui s’écrasent sur les rochers des bas-fonds gardant les rares accès entre les falaises. Au premier pas déjà, on sent la magie nous envahir. Terre riche de ses légendes, à la fois aride et humide, à la merci des vents des mers du sud, les arbres ne poussent pas. Quelques rares palmiers toutefois ont réussi à s’implanter sur la seule plage, Anakena, unique élément du décor qui nous rappelle qu’on est en Polynésie, et non en Irlande ! Au deuxième pas, on se fige sous le puissant regard des géants de pierre. Les moaï, ces gardiens mystiques qui ont rendu l’île si célèbre, s’élèvent comme des sentinelles. On avance humblement, on ose, mais on baisse les yeux… Et au troisième pas, on est saisi par le contraste de l’accueil chaleureux des habitants, la communauté Rapa Nui, aujourd’hui chilienne, les descendants des premiers Polynésiens autochtones, qui ont survécu à l’isolement, aux climats, aux guerres, aux colonisations… Qui ont survécu à l’Histoire. Les paysages, les moaï et les Hommes sont intimement liés, on pourrait presque dire qu’ils se ressemblent tant ils respirent tous trois à la fois la force et le mystère. Une fois touché terre, l’île se visite facilement. Au plus large, elle mesure 24 km, et est relativement plate. Même ses trois modestes volcans semblent ne pas vouloir s’imposer.
Les moaï, statues monumentales
Les moaï seraient les effigies des chefs des différentes tribus, qui après leur mort continuaient de veiller sur leur village. C’est pourquoi ils font toujours face à l’intérieur des terres, dos à la mer. On marche dans les pas des tailleurs de pierre, on arrive au volcan Rano Raraku. Le lieu de naissance de tous les moaï. Sur les pentes, ils étaient taillés dans la roche en position couchée, et puis une fois extraits ils glissaient jusqu’en bas, où il leur était plus facile de se redresser. La légende raconte qu’ils marchaient ensuite jusqu’à leur piédestal, le « ahu », et étaient ensuite réveillés : ils recevaient leurs yeux de corail et d’obsidienne. Certains Pascuans appellent d’ailleurs leur île par le nom « Matakiterani », les yeux qui regardent le ciel. Des théories expliquent aujourd’hui comment ces monolithes de parfois plus de douze tonnes ont pu être déplacés debout, donnant l’impression d’une marche. C’était le temps du culte des moaï, le culte des ancêtres. Et un jour, ça s’est arrêté.
Rano Raraku
Aujourd’hui, visiter Rano Raraku c’est comme visiter Pompéi, la vie s’est figée nette, certains de ces géants sont encore couchés dans la roche, d’autres à peine esquissés, et pour ceux qui ont tout juste pu se mettre debout, le temps et l’érosion les ont à demi enterrés. Ils sont superbes et tristes à la fois, ces hommes de pierre dont le corps est prisonnier de leur propre terre. Le culte des ancêtres a été frappé d’un « tapu », un interdit, et on a couché les moaï, leur redonnant leur position originelle. C’est ainsi que les ont trouvés les premiers explorateurs européens au 18e siècle. L’île tout entière est aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Tous les moaï ont été redressés.
Le culte de l’homme-oiseau
Un prodige en remplaçant un autre, est alors apparu le culte de Maké Maké et de l’homme-oiseau. Chaque printemps, une cérémonie avait lieu au bord des falaises d’Orongo. Les chefs des différentes tribus désignaient un de leurs serviteurs pour remplir le défi : se rendre sur le rocher de l’homme-oiseau en grimpant une falaise à pic de 180 mètres de haut, après avoir nagé jusqu’à celle-ci, et revenir bien sûr, avec le tout premier œuf de sterne de la saison, et en bon état ! Celui qui réussissait devenait alors l’homme-oiseau, le représentant du dieu Maké Maké sur terre, et son maître devenait pour un an le deuxième roi de l’île, gardien de la paix entre les clans. Ce culte a mis fin aux guerres civiles qui ravageaient l’île. Ceci tient plus de l’histoire que de la légende, en effet des Européens ont assisté à ce rituel, depuis leurs premières rencontres et jusqu’à sa toute fin, en 1866, avant que la population Rapa Nui ne soit quasiment décimée par l’esclavagisme, la christianisation par la baïonnette, puis les maladies venues d’Europe. Maintenant, ce peuple, tout comme ses moaï, se relève doucement, sûrement. La danse et la musique réhabilitent les traditions orales, les croyances. Et puis c’est la Polynésie, on joue du ukulélé, on profite des nombreuses terrasses de l’unique ville de Hanga Roa, on nage avec les tortues et on pratique l’art du tatouage… De toutes les îles du Pacifique, ce n’est peut-être pas la plus jolie, mais c’est de loin une des plus fascinantes !
Pratique
Si vous voyagez au Chili, pensez à faire un petit détour vers l’ouest. Si l’accès par la mer est un peu compliqué, il existe un tout petit aéroport desservi presque tous les jours depuis Santiago (aller-retour à partir de 350€), et même une fois par semaine en vol direct depuis la France ! (depuis Papeete ☺)
Nombreuses offres d’hébergement, à partir de 40€ la nuit. Pour les transports, le plus simple et le moins cher est de louer une voiture ou un quad.
Idée de lecture
Fantastique Île de Pâques de Francis Mazière
