Posté le 29 mars 2021 par La Rédaction

À l’extrémité Est de Java, l’île la plus peuplée d’Indonésie, s’élève le volcan Ijen. Les volcans actifs ne sont pas choses rares dans cet archipel. Celui-ci par contre a une petite particularité : il crache des flammes bleues.

La couleur des flammes étant surtout visible dans la pénombre, le meilleur moment pour une visite, c’est la nuit. De Banyuwangi, la ville la plus proche, nous sommes donc partis à minuit mes deux amis indonésiens et moi, en scooter sous la pluie tropicale, pour arriver au camp de base au pied du volcan à 1h du matin. C’était parti pour l’ascension, deux heures de marche avec nos lampes frontales. Le chemin est très fréquenté au départ, et de moins en moins à l’approche du sommet. Vers 3h du matin, nous arrivons au bord du cratère.

volcan ijen indonesie

Spectacle à couper le souffle, au sens figuré comme au sens propre. Par alternance, de gros nuages de soufre nous enveloppent, si bien qu’on doit louer des masques à gaz (sur place, petit business local à l’asiatique…). Nous avions aussi prévu nos masques de plongée, ça pique les yeux, la peau, les poumons, tout ! Mais entre les nuages, les fameuses flammes bleues s’élèvent sur les pentes intérieures qui entourent le lac, dans un ballet surnaturel. À ce stade, notre expédition est encore loin d’être terminée : il faut descendre. Là, ça se complique, c’est presque de l’escalade, avec masque à gaz et masque de plongée, pas très pratique. Mais ça en vaut la chandelle. Alors, on descend tant bien que mal à l’intérieur du cratère.

volcan ijen indonesie

L’autre très grosse particularité de ce volcan, c’est la présence des mineurs de soufre. Ils travaillent à extraire cette roche jaune (le soufre à l’état solide est une pierre jaune vif, alors qu’à l’état gazeux il brûle bleu : les mystères de la chimie). Les mineurs sont une petite centaine à se relayer. Le jour étant trop chaud, toutes les nuits ils grimpent en haut du volcan, descendent dans le cratère, piochent et cassent la roche, qu’ils transportent sur leurs épaules jusqu’au sommet à l’aide d’un bâton sur lequel sont fixés des paniers aux deux extrémités, et répètent l’opération plusieurs fois dans la nuit. En haut, ils remplissent des charrettes qui leurs permettent de redescendre le fruit de leur labeur dans la vallée.

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Le contraste est frappant : ils dévalent les pentes en tongs, cigarette à la bouche, en portant jusqu’à 90 kilos de roche sur leurs épaules tout en sautillant de rocher en cailloux, pendant que nous autres simples touristes, bien équipés de chaussures de marche et de masques de protections en tous genres, vivons un effort que nous croyions d’une difficulté sans précédent.

Le prix à payer pour être un surhomme est cher !

Le paradoxe, c’est que cette roche qui leur permet de survivre les tue en échange. Leur espérance de vie dépasse rarement 50 ans, le soufre ronge leurs poumons, leurs dents, et le poids des roches déforme leurs ossatures et leurs colonnes vertébrales. Les pierres sont achetées dans la vallée pour quelques roupies du kilo par la société chinoise qui exploite la mine et seront ensuite vendues à de grosses firmes pour en faire des cosmétiques. Leur « salaire » est très légèrement supérieur à la moyenne des Indonésiens. Ce qui les motive, c’est la possibilité de peut-être pouvoir payer des études à leurs enfants afin que jamais ils n’aient à faire le même travail que leur père. Nous sortons de cet enfer magnifique un peu avant 5h, avant que le soleil ne se lève pour pouvoir l’admirer depuis le sommet, à 2386 m d’altitude. Je crois qu’il n’existe pas de plus beau panorama. On domine le lac toxique bleu turquoise, les autres volcans des alentours, la jungle, la mer dans notre dos, et l’île de Bali que l’on aperçoit au loin. Il n’y a pas de mots. En redescendant, nous croisons les derniers mineurs qui charrient leur dernière cargaison, et les paniers à l’abandon sur la crête en attendant la nuit prochaine. En bas, au camp de base, on s’accorde un petit déjeuner, nouilles grillées épicées et café indonésien pas filtré comme ils le font. Il était 9h du matin.

volcan ijen indonesie

C’était en décembre 2016. L’expansion rapide et incontrôlée du tourisme asiatique a fait qu’en quelques années, le prix d’entrée sur le site du volcan a été multiplié par 10. Bien sûr, les mineurs n’en touchent rien.