Posté le 6 octobre 2022 par La Rédaction

De toutes les rencontres que l’on peut faire tout au long d’une vie de journaliste, il y en a certaines plus intenses, plus marquantes, plus insolites et inoubliables que d’autres. Celle de Daoud (devenu David) Wali en est une qui cumule tous ces qualificatifs. La rencontre d’un homme ordinaire et exceptionnel, avec un mélange de modestie, douceur, bienveillance et grandeur d’âme, qui lui donne une aura le distinguant de tous. Depuis quarante ans bientôt qu’il est à Bourg, il est comme beaucoup de réfugiés d’une lointaine époque – et je pense là à quelques amis chiliens ayant fui le régime de Pinochet – : un Bressan parmi les autres qui s’est fondu dans la vie burgienne sans problème, tellement heureux d’être parvenu jusqu’ici et d’y avoir été bien accueilli, qu’il y est resté, qu’il s’y est marié, qu’il a fondé une famille et un petit commerce, et qu’il y est même devenu grand-père.

Évidemment, la vie et l’histoire de David Wali ne peuvent se résumer à ces quelques lignes qui nous racontent si peu de choses alors qu’il y a tant à dire. Et même cette page dans Ma(g)ville n’y suffira pas j’en ai peur. Mais essayons…

1982-2022, liberté chérie…

Sa vie est un roman. Et sa lecture nous a pris du temps. Quarante ans. On en a feuilleté les premières pages à la veille de la fête des pères de 1984. Pour Le Progrès, il nous accueillait dans cette unique pièce qu’il occupait sous les toits au 24 de la rue des Casernes. Cela faisait deux ans qu’il était en France, débarquant à Paris en 82 sur un vol en provenance de Téhéran où il avait pu demander asile à l’ambassade de France en prenant des risques inouïs en compagnie d’autres camarades afghans partis de Kaboul pour fuir leur pays occupé. Des journées et des nuits à marcher à travers les montagnes, à se cacher, à passer un certain temps avec les moudjahidines du commandant Massoud, en lutte eux aussi, et à vouloir un jour quitter tout ça, tout cet enfer, pour un monde meilleur…

Ce fut donc Paris d’abord, où il put faire de belles connaissances même sans parler notre langue, ce fut Bourg ensuite où il prit ses premiers cours de français, tout en trouvant un poste de manœuvre dans une entreprise ambarroise. À cette époque, il se souvenait des courriers qu’il adressait à sa famille à Kaboul, de la peur de sa mère de le savoir si loin, et des silences sur son père dont il apprit la mort bien plus tard. On était venu le chercher chez lui, on l’avait emprisonné, et sans doute battu à mort. « On lui a fait payer ma fuite » nous avait dit Daoud, pas encore David, à la veille de cette fête des pères 84 à Bourg…

Clins d’œil à « son » Afghanistan

Les années passèrent, nous le perdîmes de vue, et puis ce furent nos retrouvailles en 1995, où, toujours pour Le Progrès, il nous fit défiler quelques épisodes de sa vie depuis notre première rencontre. Son BEP de mécanique générale à l’AFPA, ses divers travaux en usine, son mariage à une institutrice, la naissance de leurs enfants, l’arrivée de sa mère et de frères et sœurs sur notre sol, sa demande de nationalité française acceptée en 1992, son changement de prénom, David désormais, son grade de ceinture noire de judo et aïkido, et aussi, pour des problèmes de santé, la recherche d’un nouveau travail. Et pas n’importe lequel, celui qui pouvait le mieux le rapprocher de ses racines : la vente d’articles d’artisanat fabriqués là-bas, le pays de ses origines, l’Afghanistan…

C’est alors qu’il fit les marchés de la région, et qu’il s’y fit connaître et apprécier, vendit bijoux en lapis-lazuli, pierres bleues étonnantes, des tapis, coffres anciens, petits meubles, et une foule d’objets que l’on peut découvrir aujourd’hui encore dans son commerce modeste qu’il tient toujours près de la porte des Jacobins, au 8 de la rue Jules-Migonney, et où je l’ai retrouvé, ayant bien sûr vieilli tous les deux, mais lui encore bien jeune à 62 ans, avec cette bonté radieuse qui émane de son visage souriant. Si vous passez du côté de la place des Jacobins, rendez-lui visite, regardez de près ses trésors, il ne prendra pas sa retraite de sitôt. Ses voisins commerçants et habitants du centre ne veulent pas le voir quitter les lieux. C’est le soleil de leur quotidien.