Posté le 3 novembre 2022 par La Rédaction

Sur ce marché du mercredi et aujourd’hui encore, je m’étais rendu compte, à force d’allées et venues régulières, et d’observations persistantes, que deux producteurs de fruits, éloignés l’un de l’autre, vendaient quasiment (si ce n’est exactement) les mêmes marchandises, aux mêmes prix, et étiquetées de la même façon, avec de petits cartons souvent libellés de la même main… Je m’en étais ouvert à Philippe Martinant, un des producteurs du Beaujolais bien connus de ce marché et qui était là depuis des lustres tant le mercredi que le samedi, pour m’étonner qu’un de ses concurrents vende les mêmes produits que lui avec le même affichage de prix ! Et lui, pas vraiment surpris et plutôt amusé, de me répondre : « C’est pas un concurrent, c’est ma mère ! » Bancs à part et fruits communs Sa mère ! Merci Poirot, je n’ai plus besoin de vos services, problème résolu, j’ai tout compris et l’explication était simple, le fils avait une mère, ce qui était banal en soi, et la mère et le fils (un peu plus de vingt ans d’âge de distance entre les deux), provenant des mêmes lieux de production d’origine, faisaient bancs à part sur le marché du mercredi, distants de deux allées et de quelques mètres !

Ainsi arrivaient-ils ensemble dans la même camionnette au petit matin et repartaient-ils ensemble une fois le marché terminé, avec les cagettes vides et les invendus. Philippe dès lors, et bien plus tard, m’en dira un peu plus. Son grand-père, Pierre, un Martinant bien sûr, de Morancé près de Villefranche comme lui, comme tous les Martinant arboriculteurs, vint le premier sur ce marché de Bourg. Puis son père Paul et sa mère Janine lui succédèrent avant que lui, petit, ne les accompagne à son tour, histoire d’apprendre (avant l’apprentissage de l’école) ce que sont le métier et la vie de ces gens qui, par tous les temps, les trop chauds et les trop froids, viennent nourrir la ville et lui enchanter le palais de l’excellence de leurs légumes et de leurs fruits. « Avec moi, une fois dans l’entreprise, on avait deux numéros d’exploitation, et on a toujours eu droit à deux emplacements. C’est resté comme ça », dit Philippe en haussant les épaules et en rejetant tout conflit et intérêt de famille là-dessous. « On aurait pu se regrouper, mais on a continué ainsi… » Du coup, la mère et le fils ont chacun leur clientèle, parfois différente, parfois la mème, avec certains qui savent que ce qu’ils achètent ici, ils pourraient l’avoir au même prix et de même qualité sur un banc voisin pas loin là-bas, et d’autres ignorant tout, qui vont par habitude chez le fils plutôt que chez la mère, ou l’inverse, sans trop se poser de questions !

Quel Martinant après les Martinant ?

Le samedi, seul Philippe vient à Bourg, pendant que sa mère (80 ans) fait Mâcon. Ils partent de Morancé tous les deux, passent d’abord par Mâcon où Philippe dépose sa mère (« retraitée-bénévole, mais sans ça je m’ennuierais tellement »), ses tréteaux et ses cageots, avant de venir au marché de Bourg et de repartir en fin de matinée chercher la maman qui en a terminé avec le sien, et rejoindre enfin leur domicile… « Une petite expédition de 180 km » sourit Philippe, habitué à ces périples. C’est leur vie. Prise à bras-le-corps depuis belle lurette. Et le corps, en heures de travail, en supporte beaucoup. Avec bien sûr tout l’entretien de leurs vergers, le taillage des arbres entre autres, sur quatre communes voisines, et la récolte des fruits en toute saison. Des centaines de cerisiers de toutes variétés, pommiers, poiriers, abricotiers, pêchers, bien productifs… quand il ne gèle pas, ce fléau ! Et même un peu de vignes, surtout pour la consommation familiale d’un Beaujolais de chez soi… Et après Janine et après Philippe, la relève, ce sera quoi, ce sera qui ? Philippe, bientôt 60 ans, deux grands enfants, une fille enseignante, un fils dans l’immobilier, espère que l’aventure des Martinant sur ce marché de Bourg aura une suite, après sa mère et après lui. Son petit-fils Antoine (mais il n’a que trois ans) peut-être… Car Philippe est grand-père, cela aussi va en surprendre beaucoup de ses clients burgiens. Eux qui, pour la plupart, le croient célibataire endurci bien loin des tâches grand’paternelles, seront tout en exclamation médusée. Ben ça alors !