Posté le 5 octobre 2023 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

S’en souvient-on ? Pas sûr. Pas certain que même des gens de Bourg qui ont voté pour lui dans les rares quartiers de la ville qui faisaient partie de sa circonscription remaniée, remodelée, revue et corrigée, pour son dernier mandat de député, en aient gardé encore, de nos jours, le souvenir… Et pourtant, alors que j’avais pris ma retraite, et que je suivais d’un œil plus distant, plus distrait aussi, les péripéties de la vie politique départementale, je le vis apparaître un dimanche matin du printemps 2012 sur le marché des Vennes… Étonné de le rencontrer, je lui demandai les raisons de sa présence ici, loin de ses terres du Val de Saône, et lui, tout surpris de me voir surpris, me répondit que le nouveau découpage électoral étant ce qu’il était, il lui fallait venir jusqu’à Bourg pour faire campagne, et, comme d’autres, y faire les marchés ! Ainsi fut-il député (d’une partie) de Bourg quelque temps, aussi… Ce fut son ultime campagne avant de tirer sa révérence en 2017. Les trente-quatre ans de vie politique (maire de Replonges, conseiller général, conseiller régional, député) de Michel Voisin s’arrêtaient là. « Avant que je fasse un burn-out, il valait mieux ainsi », confiera-t-il plus tard à une correspondante de presse qui l’interviewait.

« Parfois, c’était insoutenable »

En tant d’années, en tant de mandats (record de longévité pour un parlementaire dans l’Ain), il a tout connu, beaucoup de peines, beaucoup de joies aussi, il n’a pas tout bien fait, il le reconnaît lui-même, « parce qu’on peut toujours faire mieux ». Avec une excuse : « La politique, je l’ai apprise sur le tas ». Des gens l’ont aimé, d’autres détesté, tous les élus connaissent ça. Le but de cette chronique n’est pas de dresser ici un bilan de sa carrière, mais d’en faire resurgir quelques passages, quelques moments qui furent sans doute les plus pénibles qu’il ait vécus dans sa vie, quand il lui arrivait, ayant siégé longtemps au sein de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, de partir en mission.

Déjà, en redécouvrant des articles que j’avais rédigés sur ses retours de Yougoslavie ou du Rwanda, en 92, en 94, on voyait bien que ces rencontres dans des pays en guerre l’avaient laissé submergé d’émotion. « L’immense désarroi de populations meurtries, ces enfants amputés, tous ces actes de cruauté, tous ces cahiers d’écolier déchirés, piétinés, ces jouets saccagés, ces pauvres gosses… J’en aurais chialé, tellement c’était insoutenable », m’avait-il raconté alors. « Et quand je rentrais à la maison, et que j’en parlais à ma femme, à la famille, autour de moi, il y avait toujours un grand silence, quelques larmes. Toutes ces vilaines choses dans les yeux… » À l’époque, il n’avait pas trop souhaité qu’on insiste, de peur que les pleurs d’un politique soient suspects de sensiblerie démagogique vis-à-vis de son électorat local. J’avoue que je ne l’avais pas suivi jusqu’au bout dans sa volonté première de discrétion. Il ne m’en avait pas voulu. Le temps d’aujourd’hui, le temps d’avant… Juin 2023. On le retrouve. Loin de la politique. Qu’il évite. Loin de l’Assemblée nationale qu’il ne reconnaît plus. Loin des cris, des insultes, des incivilités. « Je ne sais pas bien où on va avec tout ça ! » Il préfère parler rugby, quand il vient aux matchs à Verchère, quand il se souvient de ses débuts de rugbyman en herbe au lycée Saint-Pierre, ou avec Jo Maso au service miliaire, ou encore pour la coupe du monde des Parlements en 95, au Cap (Afrique du Sud). « J’avais la cinquantaine, j’ai joué 20 minutes, j’ai mis 20 jours à m’en remettre ! » Et puis, le passé qui revient. Ces scènes de vie, cette mort devant soi, dans ces squelettes ambulants d’enfants, déjà en fin d’existence alors qu’elle commence à peine. C’était au Soudan, au cours d’une mission là encore. « J’y ai rencontré une religieuse, Sœur Jacqueline, originaire de Lyon, qui s’occupait d’un orphelinat, que j’ai pu visiter… Je lui ai laissé tout ce que j’avais sur moi. En attendant d’autres dons qu’on a pu leur envoyer à travers une association. » Tant d’années plus tard, il reste bouleversé par ce qu’il a côtoyé là-bas. Pour lui, l’ex expert-comptable, l’ex-élu, les deux premières années de retraite furent difficiles. Moins de courrier, moins de coups de fil, moins de contacts. Une vie plus apaisée certes, un temps qui s’écoule à un autre rythme. Et puis, il y eut du bénévolat, d’autres engagements, la marche, une vie de famille un peu plus intense, une autre vie. Avec, pourtant, toujours au fond de ses pensées, cette pauvreté, cette détresse, cette mort devant soi, ces gosses. Toujours.