Posté le 8 juin 2023 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

François Mitterrand fut à Bourg – ou sur un autre territoire de l’Ain – si souvent, qu’il est difficile aujourd’hui d’en comptabiliser tous les passages. Mais ils sont inscrits dans la mémoire de ceux qui les ont vécus, comme dans la mienne bien sûr, à Oyonnax par exemple, pour une commémoration du défilé de novembre 43, à Trévoux pour une conférence sur Jean Jaurès, dont il avait fait un show et un triomphe personnels.…
Et même si les archives de presse qui me restent de ces divers contacts aident à me souvenir, je n’ai rien oublié de ce personnage de roman, de ce visiteur d’un jour, de ce conférencier, de ce candidat, de ce chef d’État, à Izieu, pour l’inauguration du mémorial, alors que la maladie le rongeait, tous ces Mitterrand à la fois et qui n’en faisaient qu’un, tous ces Mitterrand foulant le sol de l’Ain, aux casquettes différentes, aux visages plus ou moins fatigués, marchant à pas comptés, à la limite de la rupture parfois. Comme là-haut dans le Pays de Gex, où il était venu au CERN parler du plus grand accélérateur de particules du monde dont la France était fière, avec autour de lui, sur ses talons, ses gardes du corps inquiets, la police des Renseignements généraux aux aguets du moindre malaise, du moindre faux pas, lui tellement livide, tellement proche de l’évanouissement, debout tel un automate, à peine audible, mais bravant le mal et son propre destin…

« Président, comment allez-vous ? »

Quand on sait plus exactement aujourd’hui tout ce qu’il a pu endurer, et que toutes les questions que l’on se posait à son sujet à l’époque ont, depuis déjà longtemps, trouvé en partie des réponses, on comprend mieux tous ces Mitterrand successifs qui sont passés sur notre territoire, jamais tout à fait les mêmes physiquement, mais intellectuellement jamais vraiment différents, et auxquels les rumeurs ont fait escorte constamment. Un jour de 86, j’avais tenté une approche sur son état de santé. Au risque de m’attirer
les foudres du locataire de l’Élysée ! « Monsieur le Président, comment allez-vous ? » Cela dit presque à la façon tranquille d’une question banale posée à un voisin que l’on rencontre… Et lui à peine surpris, mais sans un sourire, et ne laissant rien paraître de ses sentiments (alors que ça devait bouillir
en lui !), de répondre : « Mon médecin vous dira que je suis plutôt en forme, et régulièrement mon bilan de santé en témoigne… » Et l’on passait à autre chose. On a su plus tard que ses problèmes de santé, comme l’existence de sa fille Mazzarine, faisaient partie des secrets les mieux gardés de la République, mais dans ces années 80-90, à chaque apparition de Mitterrand dans l’Ain, on se laissait convaincre que ce que l’on pouvait craindre pour lui n’était peut-être pas si grave, et que s’il avait tenu à en reprendre pour sept ans dans les urnes en 88, c’est qu’au fond il devait aller bien… ou moins mal.

Un temps pour tout…
Le mariage qui a uni plusieurs années l’Ain et Bourg à Mitterrand (et c’est aussi pourquoi il y revint si souvent), eut longtemps Louis Robin comme témoin privilégié. Y avait-il une réelle amitié qui les liait ? Peut-être. Se respectaient-ils profondément ? Sûrement. En fait ils ne sont plus là, ni l’un ni l’autre, pour nous préciser quels rapports ils entretenaient tous les deux. Mais des rapports de confiance certainement. À tel point que les demandes
de Louis Robin, député-maire de Bourg, pour faire accélérer auprès du Président certains projets majeurs concernant Bourg ou l’Ain, aboutirent presque à chaque fois. Il s’est dit – et l’intéressé ne s’en cachait plus, longtemps après avoir quitté la vie politique – que Louis Robin fut à deux doigts d’accepter un poste ministériel qui aurait pu être l’Outre-Mer… « Mais, nous avait-il dit, à l’heure de prendre sa retraite, j’ai eu pas mal de pépins de santé, je n’ai fait qu’un mandat de député, et j’ai écourté mon second mandat de maire. Ce n’était pas pour prendre un ministère, même si c’était tentant, je le reconnais… » Fin 1980, alors qu’il était venu présider une Fête de la Rose où les militants de son bord lui faisaient un triomphe, Mitterrand, prolongeant le mystère sur sa candidature à la présidentielle en 81, feignant une hésitation, nous avait dit d’attendre : « Patientez, il y a un temps pour tout ». Et il s’était tourné vers Louis Robin : « N’est-ce pas Monsieur le maire ?! » Et ils avaient souri tous les deux. Complices du temps qui passe et de ce temps pour tout..