Posté le 5 octobre 2023 par La Rédaction

Façonner les femmes, une histoire du soutien-gorge était récompensé cet été aux festivals du film documentaire de Los Angeles et Montréal. Rencontre avec sa réalisatrice, Sandra Rude. »

Quand, en 2021, la productrice Virginia Subramaniyam lui propose un sujet autour du soutien-gorge, Sandra signe sur-le-champ. « Au-delà du vêtement, c’est sa dimension sociétale qui est intéressante. Ce que son évolution – du corset jusqu’à sa forme actuelle – dit de la condition des femmes à travers les époques. » Le temps de l’écriture, du choix des intervenantes et des recherches de financements, le tournage commence en 2022, à l’occasion du Salon international de la lingerie, Porte de Versailles. En marge des images, Sandra capte les mots. Dans les plus grandes maisons, auprès d’historiennes, sociologues aussi, pour aborder la mutation du produit depuis sa création. Avec, en face, ses effets sur le statut de la femme au sein de la société.

Cacher le corps, invisibiliser la femme

Le corps féminin est siège de tous les vices. Il séduit, enfante et pervertit. On le cache avec de larges accessoires – notamment le vertugadin, qui élargit les hanches et masque les jambes – surmontés d’un corps baleiné qui enserre le buste des femmes. Gage de bonne tenue, de prestance, il est aussi outil de domination, tant du corps que de l’esprit des femmes. Il se mue peu à peu en un instrument de torture qui emprisonne la taille, et bride la femme à sa seule mission sociale. Paraître. L’apparition des loisirs force à la refonte du corset pour un usage pratique plus qu’esthétique. Ce n’est que fin XIXe que de premiers modèles de soutien-gorge sont développés, marquant une rupture avec l’armature traditionnelle et cessant – enfin – de faire souffrir les femmes.

Émancipation des femmes, jusqu’où ?

La Première Guerre mondiale, avec elle le remplacement des hommes par leur femme à l’usine, acte la fin du corset. Le XXe siècle connaît différentes phases, synonymes – selon le contexte politique – d’un corps féminin tantôt opprimé, façonné pour plaire, tantôt émancipé, rendu à sa pleine jouissance. La libération des corps, la conquête de nouveaux droits, la lutte pour l’égalité sont autant de combats menés par les femmes dès les années 60 avec, comme symbolique, l’abandon des attributs féminins. La mode parisienne donne à nouveau sa superbe au soutien-gorge. Elle ajoute à sa seule dimension fonctionnelle celle esthétique et, dans les années 80, promeut l’image d’une femme svelte et sportive. Le corset d’il y a un siècle est incarné désormais par l’injonction d’un corps parfait. Le nouvel idéal est celui d’une silhouette aux courbes assumées. Exagérées. Un objet d’hypersexualisation dénoncé par le mouvement féministe, qui revendique et défend le droit des femmes à disposer de leur corps. En 52 minutes, la réalisatrice brosse le portrait d’une pièce de la garde-robe à la fois reflet et symbole de la condition des femmes à travers les siècles. « Je n’ai pas voulu entrer dans la polémique… Plutôt inviter le spectateur à la réflexion. » À l’heure où les marques de prêt-à-porter expriment – feignent ? – leur engagement en faveur d’une société inclusive, où les médias font passer pour du courage le fait de s’assumer avec des formes ou des cheveux blancs, où les forces de l’ordre verbalisent quiconque défile seins nus, Sandra ouvre le débat. « L’objectif, après l’obtention de ces prix, est que ce film soit vu par un maximum de monde. Qu’il vienne bousculer les gens pétris de certitudes. Qu’il interroge sur l’avenir du soutien-gorge dans la panoplie féminine et, pourquoi pas aussi, la place des femmes dans la société du futur… »

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Façonner les femmes, une histoire du soutien-gorge Le documentaire sera intégré à la programmation culturelle 2024, en écho à la prochaine exposition du Musée des Soieries Bonnet (Jujurieux) Disponible en replay sur France télévisions jusqu’au 14 octobre sur www.france.tv/idf