Posté le 4 mai 2023 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

Aurait-il pu être chanteur ? Sans doute pas. Ou alors chanteur crooner dans une autre vie. Pour charmer son auditoire, avec son timbre de voix qu’il pouvait moduler à loisir, même quand il était en meeting pour dire tout le mal qu’il pensait de ses adversaires politiques avec ce ton doucereusement patelin… Pour nous confier par exemple, un jour de 1986, venu à Bourg pour soutenir entre autres Charles Millon pour des législatives : « Jack Lang, cet arbitre des élégances maoïstes (sic) m’a traité il y a trois jours de putschiste en puissance ! Moi ! Ai-je vraiment une tête de putschiste ? Je vous le demande ! » Ce qui nous rappelait de Gaulle et son fameux « pourquoi voudriez-vous, à mon âge, que je devienne dictateur ? »

À dire vrai, en observant Raymond Barre de près, décontracté et souriant, et à l’entendre comme susurrer ces mots, on aurait eu plutôt tendance à répondre Putschiste non sûrement pas, mais allez savoir… Le final de sa répartie sur la tête de putschiste dont Lang l’affublait était dit sur un ton (et un aigu) haut perché, comme s’il se faisait un malin plaisir à imiter ses meilleurs imitateurs !

Il n’était plus Premier ministre, il ne serait pas Président de la République en 88, puisque Mitterrand allait en reprendre pour sept ans, il n’était pas encore maire de Lyon, il était Raymond Barre, député et bientôt réélu. Apparenté UDF, il faisait ici campagne pour les amis, aux régionales et législatives, et, très en verve ce jour-là, heureux de pouvoir distiller avec finesse ses petites perfidies, il s’amusait même avec la presse, elle qui pourtant ne le ménageait pas, et qu‘il détestait plus ou moins suivant les circonstances…

Moi, Premier ministre de Mitterrand ?!…
Je crois que même si je n’avais pas conservé le compte-rendu de ce meeting qu’il présidait ce soir de mars 86, j’en aurais gardé le souvenir quasiment intact 40 ans plus tard. J’avais titré « Les quinze dernières minutes », en référence au quart d’heure final époustouflant de son discours. Il avait fait rire la salle aux éclats et donné une leçon d’humour aux orateurs politiques de tous poils, qui, dans ces moments-là, à droite comme à gauche, ne lui arrivaient pas à la cheville.

« Moi, candidat à Matignon, en cas de cohabitation dans quelques jours ? Ah non, sûrement pas. Vous me voyez jouer le rôle de pot de terre face au pot de fer Mitterrand ? » Puis, un peu moqueur, d’ajouter : « Ne vous inquiétez pas surtout, beaucoup de monde à droite lorgne sur le poste. Ce ne sont pas les postulants qui manquent ! » Fou rire assuré. Et un verre d’eau mérité pour l’artiste. Et si on lui proposait un simple maroquin dans ce futur gouvernement ? « À mon âge, et vu mon parcours, je ne suis pas de ceux qui vont mendier un ministère sous une présidence contre laquelle je me bats. » Fermez leban! Tout cela dit à sa façon, un peu professorale, un peu féline, lâchant ses mots avec cette ironie subtile qui lui seyait si bien.

La femme avenir de l’homme

Avant lui, il y avait eu d’autres orateurs, Etienne Blanc, Charles de La Verpillière, et une jeune femme brillante, mais au destin dramatique, Béatrice Débias, qui fit une remarquable prestation face à une salle conquise. Parlant des femmes candidates « qui ne sont ni des pétroleuses, ni des Jeanne d’Arc, ni des porteuses d’un féminisme primaire mangeuses d’hommes ! », elle termina en apothéose en évoquant « la femme avenir de l’homme », en s’excusant auprès de Ferrat et Aragon de les avoir cités ainsi, « quitte, moi une femme de droite, à leur déclencher une jaunisse ». Succès garanti là aussi. À sa façon, et sans bien sûr faire de l’ombre à Barre, elle fut la star d’un soir. Quand j’ai commencé ce récit, je ne pensais pas avoir à parler d’elle, ne sachant même plus très bien, avant de reprendre la lecture de ce lointain article, si elle apparaissait dedans. Mais je suis heureux 40 ans après, et pour tous ceux qui l’ont connue et qui ont apprécié son bel esprit critique et ses talents d’oratrice, d’avoir pu rappeler son souvenir, sa présence forte, ses interventions lumineuses.

Oui, il était une fois aussi, Béatrice…