Posté le 28 mars 2024 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

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Elle a achevé sa carrière à un âge où beaucoup la commencent. Parce qu’il n’est pas très habituel de prendre sa retraite à 23 ans, alors qu’on est encore dans la fleur de l’âge et que l’on démarre une carrière plutôt qu’on ne la termine !… Mais, bien sûr, on n’est pas tous skieurs de compétition, et on n’a pas tous derrière soi déjà, à 23 ans, deux Jeux olympiques, plusieurs championnats du monde, et d’autres épreuves qui vous ont fait connaître dans le monde entier. À condition que dans ce monde-là, il y ait de la neige, des montagnes et des pistes à descendre et à slalomer… C’était ça, sa première vie, à Florence Steurer, la jeune écolière de Charles-Robin, à Bourg, cette blondinette aux cheveux courts un peu timide, que le Progrès recevait au Français, en mars 1964, avec ses parents et toutes les « huiles » de l’époque, pour fêter son premier titre de championne de France cadette de slalom alors qu’elle n’avait encore que 14 ans et des poussières. Et quel bel avenir devant elle… Elle ne savait pas encore, la jeune Florence, sous quelle avalanche d’honneurs, de médailles et de coupes, elle allait vivre jusqu’àses 23 ans, mais on la sentait assez mature déjà – assise sur une banquette du Français, calée entre son père (le « grand Steu », chirurgien-dentiste dans la ville) et sa mère – pour un destin de grande championne.En fait, aujourd’hui encore, c’est-à-dire 60 ans après ce premier cap franchi dans sa vie, je ne connais d’elle que sa frimousse de jeune adolescente de 1964. Je ne l’ai vue que cette fois-là, puisque, sitôt en équipede France l’année d’après, toute son existence ensuite se passa loin de Bourg, du côté de Saint-Gervais surtout, et, durantsept années jusqu’en 1972, sur des pistes de ski.

« Merci au CAF de Bourg »

À défaut donc d’avoir pu la rencontrer depuis sa jeune adolescence et d’avoir pu constater que nos physionomies à tous deux avaient bien changé, vieillies par le temps qui passe et par les grades de grands-parents que l’on a pris l’un et l’autre, on s’est contenté d’un rendez-vous téléphonique. Je l’avais tutoyée autrefois, le vouvoiement était un peu plus de rigueur cette fois, mais j’ai senti Florence heureuse de se remémorer cette enfance bressane, les bons moments passés à Charles-Robin, ses premiers contacts avec le club alpin de Bourg, ses premiers succès en compétitions de ski scolaires, et la découverte de ses dons. « C’est là que j’ai pris conscience à quel point j’aimais ça. Je dois beaucoup au CAF. » Ce fut ensuite le collège à Lyon, son premier entraîneur en équipe de France, à 15 ans, Claude Penz, dont elle épousera le fils Alain (le père de ses enfants) plus tard… Puis le début d’une vie de star de la glisse et d’un palmarès étonnant, avec, pour commencer, à 16 ans, une médaille aux championnats du monde en même temps qu’un titre de championne des États-Unis. Et ça n’en finira pas. L’engrenage, le grand cirque blanc, des compèt’ qui s’enchaînent, avec toujours les mêmes Françaises sur les podiums, des copines de toute une vie, d’hier et d’aujourd’hui, les Goitschel, Famose, Mir… qui se retrouvent encore avec elle quand Flo et sa famille passent une partie de leur existence à Biarritz… Des retrouvailles de reines.

« Ah ce Turc, c’était si bon »…

Le passé, pour la jeune Bressane de naguère,c’est aussi sa seconde vie. Cette reprise de ses études d’abord, en 72, sitôt donné le clap de fin de sa carrière sportive à dévaler les pentes, pour intégrer l’École de management de Lyon, et créer vingt ans plus tard l’agence de communication Duodecim, qu’elle transmettra, à sa retraite, à sa fille Amélie… Cela en fait, du chemin parcouru, des histoires à raconter, des heures de gloire à ski à se souvenir, des années de présidence de l’association des internationaux de ski (l’alpin comme le nordique), des médailles à collectionner, entre autres celle de bronze aux JO de 72 à Sapporo en slalom, à défaut d’une autre manquée de rien, d’un 1/100e de seconde, aux JO de 1968 à Grenoble. Sans doute – et elle l’admet avec une once de regret dans la voix – aurait-elle pu participer aux JO d’Innsbruck en 1976, et y décrocher quelque chose, en or, en argent ou en bronze. Mais non. À 23 ans, c’en était terminé définitivement avec l’équipe de France et les honneurs. Alors, toujours au téléphone, on reparle de Bourg, de cette soirée au Français en 64 pour son premier titre de championne de France cadette. Et puis brusquement, dans la conversation qui se prolonge, elle évoque ce qui lui a laissé une trace indélébile sous les papilles : « Le Turc , ça existe toujours ? J’adorais. C’était où déjà ? » On lui répond : « Une spécialité du Pêché mignon qui a fermé. » Et elle : « Ah oui, c’était si bon ! » Évidemment, au téléphone, on ne lui voit pas les yeux, mais on les devine un peu brillants, redevenus d’un seul coup, au rappel de ce gâteau, ce Turc, ceux de son enfance.