Posté le 28 février 2024 par La Rédaction

Roger Picard, né en 1917 à Bourg, employé à la Sécurité sociale, a nourri jusqu’à sa mort – à 92 ans – une seule et immense passion : le jazz.

Cette musique il l’écoutait, en jouait comme batteur et, tant qu’il a pu, il se rendait aux concerts. « Mon père, qui gardait tout, nous a légué plus de 600 78 tours et 3500 33 et 45 tours, certains achetés juste après la guerre et dédicacés par de grands noms tels qu’Armstrong, Hampton, Bechet, Coleman et bien d’autres », révèle son fils Lionel qui a tout recensé, mis en fichier et sécurisé. Il y a ces disques, pour certains très rares, comme Échos de France, une Marseillaise jouée en jazz par Django Reinhardt et Stéphane Grappelli et censurée après-guerre, mais aussi des revues comme Jazz Hot, paru en 1935, et Jazz magazine, en 1954 ; sans oublier quantité de photos et affiches. À 8 ans, Roger Picard écoutait ses premiers charlestons, achetés par sa maman et qu’il reprenait sur son mirliton. Libéré en août 1940 de son service militaire, après la débâcle, il achète ses premiers disques de jazz de musiciens français comme Claude Luter ou Django Reinhardt. Mais il a fallu attendre la fin de la guerre pour que le jeune passionné se précipite sur les enregistrements des grands Américains cités plus haut auxquels il faut ajouter, entre autres, Count Basie et Duke Ellington.

Sa rencontre avec Armstrong

En 1949, Armstrong vient à Lyon pour jouer à l’opéra. Ni une ni deux, Roger prend le train et arrive à rencontrer le musicien, grâce à Hugues Panassié (alors critique et producteur de jazz, fondateur du Hot Club de France et du magazine Jazz Hot avec Charles Delaunay) pour une dédicace. Il se retrouve aussi après le concert à la même table que la vedette dans un bistrot du Vieux Lyon. Une ville où le batteur burgien croisa aussi Duke Ellington et bien d’autres, et pas qu’une fois.

Il fonde le Hot Club de Bourg

Roger Picard n’était pas qu’un consommateur de musique, ni même un « chasseur d’autographes ». Il a aussi énormément favorisé l’écoute du jazz dans la cité burgienne. En 1946, il fonde le Hot Club de Bourg, sans local, sans argent, et réussit à se faire héberger au Caveau, aujourd’hui le Chill club, où il joue le dimanche matin avec ses amis. Vraiment une autre époque… En 1956, c’est dans une vieille ferme à Péronnas qu’il s’installe avec Roland Monnet comme président, pour tenter de concilier musique et cinéma, en s’associant avec les cinémas Eden et ABC. On imagine le bonheur de Roger en voyant des films comme Nouvelle-Orléans, Stormy Weather ou encore le génial, inoubliable et loufoque Hellzapoppin’ où, cerise sur le gâteau, l’on peut voir et entendre des danseurs de claquettes. Lui, avait appris tout seul en allant voir des films de Fred Astaire et, anecdote, il « claquettait » avec les mêmes chaussures que celles de Fred. Les passionnés ne reculent décidément devant rien…

En 1977, l’employé de bureau est à la retraite. Rester sans rien faire ? Non, ce n’est pas le genre de la maison ! Avec son marchand de disques et de matériel et batteur Baby Écochard, Jean Dauphin, un autre fada de jazz, et Willy Pscheniska, sonnent l’heure de l’installation à la célèbre ferme Cointet, rue Saint- Roch, avec l’aide de la municipalité de l’époque. Encore une fois, pas beaucoup d’argent dans les caisses, mais des musiciens de Mâcon et de Lyon qui jouent le jeu. Roger intervient auprès du Théâtre de Bourg pour programmer des groupes et c’est un trompettiste qu’il adore, Bill Coleman, qui, après son spectacle, à la demande du batteur, est allé inaugurer la ferme pour en devenir le parrain. À travers l’histoire de ce Burgien, on voit combien ces immenses musiciens, qui aimaient la France, étaient humains et accessibles. Il faut bien reconnaître que Roger Picard avait un réel pouvoir de persuasion et que sa culture musicale devait en impressionner plus d’un. À cette époque, jouaient au théâtre Stéphane Grappelli, Rhoda Scott, Martial Solal, que l’équipe accueillait dans la ferme pour un « boeuf » des plus festifs.

À l’origine de la Ferme à jazz

En 1980, le 14 juin, à la Jeunesse laïque, la bande organise un festival en plein air. Le beau temps est de la partie, sept orchestres de styles différents assurent le spectacle et, comme à son habitude, Roger enregistre sur cassette. « Je le fais souvent au jazz club, décrit-il dans ses notes. Je les garde bien sûr jalousement en souvenir de ces jours mémorables. » Mais là encore, tout a une fin. La ferme Cointet est rasée pour la construction d’un collège. En 1992, le jazz club s’installe à la ferme des Carronnières, renommée la Ferme à jazz, que préside Jean-Louis Tissot. Tout doucement, le décideur, l’organisateur, devient à son tour spectateur. Un spectateur toujours aussi enthousiaste.

Des claquettes au studio

« J’ai connu Roger Picard à Tropiques FM. Le bonhomme, monté sur pile, arrivait pour faire son émission, toujours avec un paquet de disques sous le bras qu’il montrait avec gourmandise. Roger ne supportait pas le free jazz. Il parlait très vite, on ne comprenait pas toujours tout, mais une telle passion ne pouvait que toucher. Nadia, la réalisatrice, avait parfois un peu de mal à déchiffrer et le jazzman, qui avait son caractère, pouvait un peu s’énerver alors qu’il était le seul responsable de l’inversion d’un morceau. Roger, c’étaient des anecdotes avec les plus grands du jazz, la musique et l’amour de la musique. Malgré l’âge, il entretenait cette joie de communiquer sa passion et continuait à entrer dans le studio avec quelques pas de claquettes. » Georges Ravat