Posté le 3 novembre 2022 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir :

Il avait le zézaiement à géométrie variable, le bégaiement aussi. Il en usait au théâtre, et pour ses films, surtout ceux où le zozoteur qu’il était (ou qui s’amusait à être) pouvait exprimer son talent d’ahuri le plus librement, sans modération, sans limite, sans souci de la presse, qui dans ses critiques l’éreinterait un fois de plus. Elle écriraitmais la belle affaire, pensait-il – que Darry Cowl décidément ne savait faire que ça, et que s’il croyait encore faire rire les gens en continuant à tourner dans des nanars, que grand bien lui fasse… Là, les critiques parisiennes se voulaient cinglantes, intransigeantes, pures et dures, les mêmes qui démolissaient souvent un Louis de Funès ou un Jean Lefèbvre, quand ils étaient pourtant au sommet de leur art. Faire rire le public était bien plus difficile que de le faire pleurer. J’ai eu une seule fois l’occasion de parler de tout ça avec André Darricau, né en 1925 et mort en 2006 plus connu sous le nom de Darry Cowl, qu’il trouvait plus sympa à l’oreille avec sa petite touche anglo-saxonne.


Des « choix alimentaires »
Quand je l’ai rencontré fin 1974, ce n’était ni au Théâtre, ni à l’Eden lors d’une présentation d’un de ses films, mais dans le cadre d’une animation commerciale à Bourg, comme il lui arrivait d’en faire, par « choix alimentaire » disait-il, pour cacher à demi qu’il était addict au jeu depuis longtemps et que ce qu’il gagnait la veille il pouvait le perdre dès le soir suivant. Là, c’était un magasin de meubles de la ville qui l’avait invité (tout en monnayant sa prestation) à venir au contact du public afin d’attirer dans ses murs le plus de monde possible. À cette époque, Darry Cowl, à bientôt 50 ans, avait acquis une belle popularité, Le Triporteur avait eu un succès retentissant, le Sois belle et tais-toi également avec Mylène Demongeot à la place de Bardot appelée sur un autre film au dernier moment, puis Archimède le clochard avec Gabin l’année d’après…
Là, il avait un trou à boucher dans son emploi du temps, et puisqu’il y avait quelques francs à se mettre dans les poches sans trop en faire, il avait dit oui. Mais oui pourquoi ? Ce fut la première question qu’on lui posa, tellement étonné nous-même qu’il ait fait ce déplacement qui ne laisserait aucune trace dans sa biographie plus tard… Une interview de « clown triste » qui mettait un peu mal à l’aise, quand on l’avait vu si irrésistible parfois dans des rôles certes secondaires mais qui occupaient toute la scène et l’écran quand il apparaissait. Alors, lui, la tête penchée sur mon bloc, scrutant du coin de l’œil – tout en machouillant un minisandwich du buffet – ce que j’étais en train d’écrire, de s’étonner à son tour de me sentir étonné ! « Tu sais, je suis un saltimbanque, un moins que rien dans mon genre comme beaucoup le pensent, je fais rire, je ne fais pas rire, c’est ça la vie, je n’oblige personne à aimer ce que je fais. Ou à trouver dérisoire ma présence ici ce soir… »

Césarisé et Moliérisé !
Il exagérait, bien sûr, mais après un tel préambule, il me fallait vite reprendre le cours de la conversation, venir sur des terrains plus artistiques. Il avait quinze ans de plus que moi, il avait remarqué mon trouble. Et le bouffon génial se remit vite en selle, me dit qu’il avait un film en préparation pour l’année suivante Le Jour de gloire (sorti en 1976), « même si je ne crois pas qu’il m’assure gloire et fortune », commenta-t-il rieur. Il se disait voué à ce genre de rôle au cinéma et au théâtre, « mais peut-être qu’en vieillissant, mon répertoire s’étendra. Pour le moment, ce que je fais me va bien. Et comme ça en fait rigoler certains, les autres bof… » Et quitte à l’agacer un tantinet, j’en remettais une couche : « Vous n’auriez pas pu faire carrière plutôt dans la musique ? On a beaucoup salué vos talents de pianiste … Oui bien sûr, mais ça s’est passé autrement. Je me suis créé un personnage et ça marche… Moi, le frisotté à binocles, aurais-je été bien crédible en pianiste de concert ?! » On en était restés là. Les années passèrent. Darry Cowl continua à faire du Darry Cowl, ou presque, obtint un César du second rôle en femme concierge, Mme Foin, dans un film de Resnais. Un Molière aussi en 1995, avant d’être César d’honneur en 2001 cinq ans avant sa mort. Il avait finalement tourné sous la direction de quelques grands, les Sautet, de Brocca, Lelouche, Molinaro, Mocky… tout en demeurant d’une modestie inouïe. Pour un saltimbanque de trois fois rien comme il se moquait d’être, pas mal quand même, Monsieur Darricau. Non pardon : Monsieur Darry Cowl !