Posté le 2 novembre 2023 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

Je le revois encore, un tablier blanc qui lui ceint la taille, prenant le relais de son épouse Gabrielle à la cuisine pour quelques instants, et allant d’un invité à l’autre dans la salle à manger, en simple hôte de maison, s’enquérant si tout va bien, si les convives qui sont là n’ont besoin de rien. « Un peu de pain peut-être, un instant, je vous l’apporte… » Cette journée qui rejaillit de mes souvenirs s’est inscrite dans ma mémoire parce que jamais, sans doute, je n’aurais dû la vivre, vu que je n’entretenais pas de lien particulier avec Jacques Boyon, autre en tout cas que celui dans le cadre de mon métier, et qu’en principe je n’avais rien à faire ici, chez lui, à Pont-d’Ain. Mais, en cette mi-juin 1989, j’étais la veille au vernissage à Pérouges de l’exposition de la peintre portugaise Vieira da Silva, que Jacques Boyon et son épouse organisaient, et j’avais reçu de vive voix de leur part, et au tout dernier moment, l’invitation pour ce repas le lendemain. « Histoire de prolonger, en toute simplicité, dans un autre cadre, avec Vieira qui sera présente, ces quelques moments à Pérouges »… J’aurais pu m’esquiver, prétexter n’importe quelle raison pour refuser, mais j’ai accepté.

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Jacques et Gabrielle
Boyon en 1989.

Hors d’ici la politique…

J’ai bien fait, je n’ai pas regretté. Elle était là en effet, petite femme brune tout de noir vêtue, déjà âgée, au centre de toutes les attentions, « présidant » modestement ces agapes, souriante, cachant mal une certaine timidité, parlant très correctement notre langue, elle qui avait obtenu la nationalité française, tout comme la Légion d’honneur. Ce groupe politico-culturel-médiatique assez disparate que nous formions dans cette salle à manger, était là pour la célébrer en même temps que son immense talent et l’étonnant attrait de sa peinture au style si original, aux lignes entremêlées, aux formes et aux couleurs irrésistiblement attachantes. Être là à ses côtés, à son contact, nous enlevait à chacun toute envie de parler politique si tant est qu’on en auraient eu le désir à un moment du repas. Non, ce n’était ni l’endroit (même ici chez un élu chiraquien), ni l’instant. Personne, d’ailleurs, n’en manifestait le souhait. J’avais noté, en arrivant et en survolant du regard cette petite assemblée où je reconnaissais quelques visages, que tant la droite que la gauche (surtout quelques amis de Gabrielle dans les milieux artistiques qu’elle fréquentait dans son travail) me semblaient équitablement représentées, et que même si ce n’était pas là le but de celui et celle qui nous accueillaient, cela voulait tout de même dire que l’amour de l’art, l’admiration pour une artiste et pour son œuvre, ne s’embarrassaient pas à leurs yeux de limites politiques et pouvaient faire consensus. Et c’était bien ainsi. La conversation se concentra donc sur Maria-Héléna (le beau prénom composé de Vieira da Silva), sur sa carrière, chacun y allant d’une courte intervention sur ce qu’il aimait le plus (ou le moins) chez elle et ses toiles. Personne ne fut avare de compliments. Vieira les reçut humblement d’un joli sourire. Une belle ambiance.

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L’affiche (qui, avec le temps a perdu de ses
couleurs) de l’exposition Vieira da Silva à Pérouges en 1989

Un autre homme

J’observais Jacques Boyon circuler parmi ses invités, un mot à l’un, un mot à l’autre, et rien, dans son attitude, ne me rappelait le député, le patron du Département, le ministre, qu’il avait pu être à une période de sa vie ou encore à cet instant. Le politique assez froid d’apparence, difficile d’approche pour la presse, un peu trop arc-bouté sur certaines lignes idéologiques, pensant aux prochaines élections à venir, aux futures batailles à mener, à quelques embrouilles partisanes avec Charles Millon ou un autre… Non ! Ce n’était pas là le même Jacques Boyon, et j’avoue, sans avoir eu l’opportunité de le lui confier de son vivant, que celui-ci, serein, plus décontracté, attentif à ce qui l’entourait, me plaisait davantage. Dans un contexte différent, il m’apparaissait autrement, en quelque sorte plus humain, plus abordable, et le cadre privé de ces échanges, sans avoir à prendre des notes ou des clichés pour le journal du lendemain, était finalement pour moi bien agréable à vivre. Vieira da Silva est décédée en 1992. Elle avait 84 ans. Gabrielle eut une fin de vie difficile, et Jacques, disparu ces dernières années, s’était mis un peu en retrait de la politique, pour des raisons de santé surtout, mais aussi parce que l’homme qui avait accueilli Maria-Héléna autrefois à son domicile de Pont-d’Ain n’était plus le même depuis longtemps…