Posté le 30 novembre 2023 par La Rédaction

Antoine Rousset, ancien journaliste au Progrès à Bourg, rouvre les pages de son album souvenir.

Difficile d’entreprendre sur une page de raconter une aventure pareille, qui a duré près de quatre ans. Avec de multiples péripéties, de multiples affrontements, de multiples rebondissements, comme la Bresse n’en avait pas connus depuis bien longtemps. Quand, le 21 mars 1987, le journal Le Progrès annonce que ce petit coin de France risque de recevoir, pour du long terme, dans son sous-sol, des milliers de tonnes de déchets radioactifs (parce qu’à six cents mètres de profondeur, des couches de sel épaisses de trois cents mètres pourraient assurer la sécurité de ces fûts et de leurs contenus dangereux), la levée de boucliers est quasi immédiate. Certains croient à un gros canular, à un 1er avril un peu en avance, mais la plupart des gens de Bresse, les élus, les éleveurs et leurs volailles, et toute la population en général, ne se font pas d’illusion. L’idée qui a germé dans les cerveaux de l’Andra, autrement dit l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, a bel et bien ciblé la Bresse comme destinataire possible de ces déchets.

Non, l’Andra ne passera pas…

La Bresse « poubelle nucléaire » résonne ainsi brusquement dans les esprits. Son image serait ternie à jamais, celle d’une Bresse cocoricotante bleu-blanc-rouge défigurée, galvaudée, piétinée… Alors, aussitôt, deux hommes, deux élus de Bresse, Louis Jannel et Jean Pépin, respectivement maire et conseiller général, à Montrevel et Saint-Nizier-le-Bouchoux, pas toujours d’accord entre eux de par leurs convictions et leurs choix politiques, appellent d’une même voix à la mobilisation. Ils seront dix, ils seront cent, ils seront bientôt des milliers à les suivre. Et cette résistance qui s’organise est belle à voir, et humainement formidable. Les grands médias s’emparent de cette révolte. L’Andra, un peu dépassée, essaie de temporiser, mais sans reculer, car elle veut construire, avant d’aller plus loin, avant d’aller jusqu’au bout, un laboratoire souterrain sur le site des Blétonnets, au lieu-dit Montéfanty, entre Montrevel et Saint-Trivier-de-Courtes. Le préfet de l’époque ne sait plus trop quoi faire, quelles attitudes adopter. Face à ce soulèvement populaire, il y a un début de panique… Le collectif Sauvegarde de la Bresse ne cède pas un pouce de terrain, multiplie les actions, certaines spectaculaires, parfois radicales, superbement efficaces. Aux Blétonnets, où déjà des travaux, sur les directives de l’Andra, ont commencé, la résistance de la Bresse se met en place jour et nuit, avec Louis (Jannel) et Jean (Pépin) en première ligne, et les René Vaucher, Serge Favier, Bernard Vacle, Bernard Derrien, Jean-Paul Comas, et j’en passe bien évidemment, pour leur emboîter le pas, parmi leurs plus fidèles soutiens. Et même quand le tocsin hurle aux églises alentour annonçant la présence de forces de gendarmerie, de CRS, ils sont tous là bravement, à leur poste, à les attendre de pied ferme, pour montrer fièrement de quoi ils sont capables pour défendre leur Bresse…

Les Révoltés de Montéfanty…

Oui, à cette époque, tous ces hommes et femmes, tous ces Bressans d’origine, ou de cœur depuis peu, furent admirables. Parce qu’ils furent constants dans leur volonté de résistance face à l’Andra. Et parce qu’ils sortirent victorieux de cette longue lutte, jusqu’à l’annonce d’un moratoire, qui allait sceller bientôt l’arrêt de ce projet. En Bresse tout au moins… En 2010, nous fûmes quelques-uns à nous retrouver, chez Louis Jannel, pour évoquer dans un ouvrage de 200 pages, Les Révoltés de Montéfanty, avec photos, textes, dessins, documents, cette odyssée splendide. À ce moment-là déjà, à la sortie du livre, certains de ces héros du quotidien, étaient décédés, et d’autres encore, depuis cette parution, ne sont plus là non plus. Louis Jannel et Jean Pépin par exemple. Les premiers lanceurs d’alerte. Mais gloire à eux pour leur action. Ils avaient montré qu’à gauche comme à droite, réunis pour une bonne cause, une noble cause, on pouvait entreprendre ensemble de belles choses…

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Fin 89, après l’assaut des forces de l’ordre, une trêve est décidée.
Le temps de souffler un peu. Sur ce dessin de Pibo (colorisé par Nell pour Magville)
Louis Jannel (à gauche) et Jean Pépin (à droite) trinquent pour fêter ça,
assis sur une grume de peuplier aux Blétonnets