Posté le 7 avril 2022 par La Rédaction

Antoine Rousset a été journaliste au Progrès à Bourg pendant
une quarantaine d’années jalonnées de quelques rencontres
inoubliables et marquantes. Pour les lecteurs de Magville, il a accepté d’ouvrir à partir de ce numéro quelques pages de son album souvenir.

Dans le journalisme, on ne sait pas de quoi sera faite la journée du lendemain. Quelle surprise, belle ou fâcheuse, vous attend. En ce jour du 21 mai 1965, je savais depuis la veille que j’aurais un compte-rendu de spectacle à assurer au théâtre, en ignorant qu’un évènement de dernière heure allait transformer ma soirée en une expédition nocturne qui me laisserait si longtemps plus tard un souvenir inoubliable.

Il y avait une demi-heure que je m’employais à trouver un quelconque intérêt à la pièce qui se jouait devant moi, quand furtivement je sentis dans le noir, à mes côtés, la présence d’une silhouette, et une voix à peine audible à mon oreille… « Antoine, tu as ton appareil photo ? Viens, c’est urgent… » À cette époque, nous étions, au Progrès, en concurrence avec le Dauphiné-Libéré, et je compris que l’information était confidentielle, donc à mettre hors de portée du collègue du DL assis un fauteuil devant moi… Discrètement, je me levais pour sortir, et la personne qu’on avait envoyée à ma rencontre se fit alors plus précise. « Liz Taylor et Richard Burton sont à l’Auberge bressane, ils en sont presque au dessert, il faut faire vite… »

Rendez-vous avec Cléopâtre et Marc-Antoine…

Oublié le spectacle, oublié l’ennui qu’il me procurait, le scoop était là tout près en cette nuit de printemps. J’avais rendez-vous avec ce couple de légende, avec Cléopâtre et Marc-Antoine, avec la Mégère apprivoisée,
avec Virginia Wolf, avec toute cette folie qui entourait chaque épisode de leur vie, leur passion amoureuse, depuis leur mariage un an plus tôt.
Qu’étaient venus faire à Bourg les deux tourtereaux, pour se retrouver là, en tête-à-tête, devant un poulet de Bresse, sous le regard, juste en face, de Marguerite d’Autriche ? Dans les rues silencieuses, ma voiture eut tôt fait de filer vers l’Auberge où je vérifiais d’un coup d’œil que tous les deux s’y trouvaient bien, paisiblement attablés, l’un en face de l’autre. Liz chapeauté et ravissante, et Richard, la fossette charmeuse, lui souriant. Une tarte aux pommes posée sur une petite table à leurs côtés, indiquait que le repas s’achevait.
Le cœur du jeune « rouletabille » que j’étais battait un peu la chamade au moment de m’approcher de ces nouveaux dieux de l’Olympe cinématographique, mais l’épouse du restaurateur vint à ma rencontre, sourire aux lèvres, pas vraiment surprise de me voir, et m’invitant à patienter quelques instants pour voir dans quelle disposition d’esprit le
couple se trouvait pour accueillir la présence d’un photographe de presse.
« Une photo et c’est tout », revint-elle me dire une minute plus tard. Et ce fut tout en effet ! Rien de moins, rien de plus. Si pourtant, car je me souviens de leur gentillesse, de la douceur patiente de leur regard, de cette empathie déconcertante et de ce savoir-vivre étonnant à l’égard de cet intrus qui troublait un instant leur intimité.

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Monstres sacrés pour l’éternité

Après, oui, je l’avoue, ce fut un peu la course-poursuite, derrière le taxi qu’ils avaient réservé pour se rendre à l’Hôtel de France, où ils passaient la nuit, et la promesse, accordée par Burton, d’une interview pour le lendemain avant leur départ, en Rolls Royce décapotable, pour la Suisse voisine où ils allaient rejoindre leurs enfants issus de mariages précédents.
Et puis ce fut la fin de l’histoire le jour suivant, vers 13 heures, mais cette fois partagée avec d’autres confrères rameutés, de la presse radio et écrite, et Richard Burton, ce Gallois d’origine, s’exprimant dans un français très correct, parlant pour deux, évoquant leurs projets hollywoodiens communs, cinéma et théâtre, tandis que Liz écoutait, muette, sourire de Joconde, sans jamais prendre part à la discussion.
Deux monstres sacrés pour l’éternité, que cette rencontre de la veille, insolite et exclusive, que j’avais eue avec eux, un court moment avait réussi à désacraliser. Un moment rare, superbe !